Macron va à l’abattoir…

Dans son roman Fallait-il tuer Macron ?, Nicolas Boucher n'interroge pas le monde mais il l'invective, il lui lance des anathèmes. C'est son droit le plus strict d'utiliser la fiction pour écrire un pamphlet et de jouer à l'assassin. Cependant quand il se met à rendre la démocratie (l'Arlésienne !) responsable de tous nos maux, on se donne le droit ici de régler son compte à Nicolas Boucher avec des moyens autrement plus pacifiques, bien entendu.

Un pfft !!! qui fait pschitt !

Quatrième de couverture :
5 décembre 2023 (AFP) : « Le président Macron a été victime en fin de matinée d’un attentat lors de la visite d’un abattoir en Aveyron. L’agresseur a été appréhendé. Il semble avoir agi seul. Visé à la tempe, le Président est mort sur le coup. »
Voilà la dépêche qui a annoncé la mort d’Emmanuel Macron. Rien sur mon modus operandi. Mon coup de génie. La maestria du pfft !!! final. La trouvaille du siècle ! Le carnaval hissé au rang des beaux-arts ! Rien non plus sur la philosophie de mon acte. Son sens véritable. Ontologique ! Rien sur la hauteur du fait, digne d’un Achéen aux longs cheveux. D’un héros de grands siècles d’or. Tout cela, ils le tairont. Leur pouvoir s’effondrerait de ce dévoilement. Les masques tomberaient les uns après les autres. Mais moi je vais vous le dire. Et que pourront-ils faire, une fois que vous saurez ? Que vous
aurez compris ?
Je vais vous dire pourquoi il fallait tuer Macron.

Question rhétorique que celle que pose le livre, question pute-à-clique comme on dit aujourd’hui.
Une question rhétorique est une question qui n’attend pas de réponse, à laquelle a déjà répondu celui qui la pose. Le genre de question que le politique ou le management (mais ne sont-ce pas une seule et unique chose aujourd’hui ?) aime poser pour attirer l’auditoire dans le piège dans lequel il désire le faire tomber. Question rhétorique : question démagogique ?

Ici dans ce qui est présenté comme un roman, Macron est déjà mort, assassiné dans un abattoir par le narrateur et Souffle 2.0, « un arsenal d’étourdisseurs à air pulsé particulièrement sophistiqué ». La question que pose le titre du roman semble déjà réglée.

Après avoir donné le détail de l’événement, mélange de préméditation et d’improvisation, le livre devient justification pamphlétaire du geste dans sa deuxième partie. Ce que le narrateur craint le plus, c’est que celui-ci soit interprété comme un acte politique, ainsi nous précise-t-il dès la vingtième page du livre : « Un crime de classe ! Une vengeance sociale ! Une telle interprétation eût été désastreuse à mes yeux. Elle eût annihilé la raison d’être de mon acte. ». Et quelle est la raison d’être de son acte ? Une haine de son époque, époque que Macron, « homme fabriqué six mois avant son élection (…) dans l’Atelier d’Onkel Klaus », incarne à la perfection et dont il cristallise « le vide total » (pardon pour l’oxymore), tout le nihilisme et le moimoïsme : « Je voulais continuer à compter dans cette narration » se justifie le narrateur. Ou plus loin : « C’est moi qu’on verrait au premier plan. Moi. Moi dans le costume décontracté (…) ».

Aussi, il faut entendre sous la question fallait-il tuer Macron ? une autre qui sourd : n’était-il pas trop tard pour tuer Macron ?. « Macron n’étant rien, n’étant qu’une figure substituable, homme lige d’un crypto-pouvoir était[-il] au fond tuable» Ainsi avoue le narrateur : « Cette réalité pose la question d’un caractère contre-productif de mon acte. N’ai-je pas rendu visible l’invisible ». N’est-ce pas fondamentalement lui-même qu’il a voulu amener à la postérité ? L’assassin se veut un être banal qui tue un autre être banal et tous les deux ainsi entrent main dans la main dans l’Histoire. « Emmanuel Macron est mort. C’était là la seule façon qu’Il avait d’entrer dans l’Histoire. », va jusqu’à écrire le narrateur.

Un prétexte à une longue diatribe contre la démocratie

La littérature, malheureusement ici, n’est qu’un prétexte à une longue diatribe contre la démocratie « cette valeur supérieure dont personne ne se demande pourquoi (…) aucun philosophe dans toute l’histoire de la pensée et avant l’invention de la télévision n’a jamais voulu » parce que « tous savaient l’énorme imposture qu’il y aurait un jour à dire que c’était là un régime idéal (puisqu’il n’existerait jamais). »

Je me permets de citer un long passage (pages 62-63) car il est important même essentiel pour comprendre où veut en venir ce livre.
« On se souvient de la fulgurante ascension du jeune ministre des Finances, aussi charismatique qu’un grand verre d’eau, dont on connaissait à peine le nom pour l’élire six mois plus tard, consacrant la vieille forfaiture des élections en Europe, le simulacre, la farce longtemps cachée.
On se souvient du cirque ayant conduit à cette apparence de démocratie. Mis en musique avec la rhétorique de la démocratie, les couleurs de la démocratie, l’apparence de la démocratie – un mot servi comme une soupe populaire, si problématique en fait, vidé de tout contenu et dont personne n’oserait interroger aujourd’hui la vacuité, se demandant si jamais il fut autre chose qu’un paravent bricolé par les petits oligarques de la pensée gravitant autour de Périclès, dans une société, faut-il le rappeler, d’esclaves. (C’est un signe à lui seul de nos naïvetés cet usage compulsif d’un mot n’ayant jamais eu, peut-être, aucune réalité. Un mot dont l’apparence de sens, la force de l’usage, ont pris le pas sur la réalité qu’il dit recouvrir au point tout à fait de se substituer à elle, de valoir pour elle. De sorte que chacun a ce mot en bouche sans savoir jamais ce qu’il désigne en vrai, dans la vraie vie, pour les hommes vivant « en démocratie ». On ne sait pas ce qu’est la démocratie, mais on sait que là où elle n’est pas, là où elle ne serait pas encore, eh bien, elle doit être ! Oui, elle doit être partout ! Partout imposons le peuple souverain ! Voilà le fin mot ! La seule certitude. 
»

Échappe à l’auteur la plus grande contradiction dont ce livre est loin d’être avare : comment peut-on juger un régime qui n’existe pas ? Son livre est ainsi digne d’un procès soviétique où l’accusé devait savoir lui-même de quoi on l’accusait et avouer d’instinct ses fautes. Mais ici l’accusé n’a pas la parole puisque la démocratie n’est « qu’une vue de l’esprit ». Son sujet n’est pas la démocratie mais la haine de celle-ci. La haine qui aveugle, cette haine que Jacques Rancière analyse dans son livre La Haine de la démocratie et dont le livre Fallait-il tuer Macron ? est une magnifique illustration si je puis dire. Cependant, la haine dont parle Nicolas Boucher n’est pas nouvelle, et ce n’est pas un hasard s’il cite Platon, mais « est aussi vieille que la démocratie pour une simple raison : le mot lui-même est l’expression d’une haine. Il a d’abord été une insulte inventée, dans la Grèce antique, par ceux qui voyaient la ruine de tout ordre légitime dans l’innommable gouvernement de la multitude. Il est resté synonyme d’abomination pour tous ceux qui pensaient que le pouvoir revenait de droit à ceux qui y étaient destinés par leur naissance ou appelés par leurs compétences. Il l’est encore aujourd’hui pour ceux qui font de la loi divine révélée le seul fondement légitime de l’organisation des communautés humaines. » Tiens ! Justement Nicolas Boucher n’écrit-il pas page 85 : « Il nous faut un nouveau Jésus-Christ ». Il ne remet pas en question un système qui n’a rien de démocratique mais seulement la médiocrité des hommes et des femmes qui sont au pouvoir. Nicolas Boucher n’interroge pas le monde, il l’invective, il lui lance des anathèmes. Lui comme beaucoup d’autres aujourd’hui, « c’est du peuple et de ses mœurs qu’ils se plaignent, non des institutions de son pouvoir. » (La Haine de la démocratie) car « le capitalisme n’est pas l’ennemi », non, l’ennemi, ce sont les « couilles moulées dans des fibres si toxiques. ». Fibres qui ne sont peut-être pas plus toxiques que la cigarette dont Philippe Murray fit un usage abusif et qui le tua et dont Boucher voudrait à n’en pas douter être le continuateur. Mais la cigarette, c’était autrement plus viril que des leggings moulants, vous comprenez… L’ancien monde, celui dont on ne sait jamais quand il commença et surtout quand il a fini, allait mieux parce qu’il était beaucoup moins démocratique que l’époque contemporaine, excès de démocratie qu’ont pu apprécier à sa juste valeur les Gilets jaunes et les personnels soignants suspendus pendant la crise dite sanitaire.

Haine de soi, haine de la démocratie, recherche du sauveur, nietzschéisme, défense du capitalisme

Alors œuvre d’un réactionnaire, ce livre ? Oui. Mépris du peuple ou plutôt de la classe moyenne à laquelle appartient le narrateur donc haine de soi : « A l’origine de cette malfaisance, ne minorons pas notre propre faiblesse. Celle-ci fut conquise à grands coup de confort, de loisirs, de vacances à la mer et de la redécouverte, au cœur des seventies, des délices malsains de la sexualité groupale. » Il ne suffit pas de dénoncer le nihilisme pour y échapper, écrire : « (…) une étape supplémentaire a été franchie où rien, ni la plante, n l’animal, ni la chose n’ont de valeur. (…) Une telle dégradation, où les choses et les êtres s’équivalent dans leur nullité, ne peut conduire qu’à l’avènement d’un nihilisme généralisé » ne suffit pas à exorciser ce nihilisme qu’on porte en soi. Nicolas Boucher ne sait-il pas que beaucoup attendent encore cette société de confort, de loisirs et de vacances qu’il vomit ? Celle-ci est pour eux encore plus chimère que la démocratie. Connaît-il vraiment le peuple auquel il prétend appartenir ? C’est parce que ce confort est en train de lui échapper, c’est parce que la promesse qui a été faite à la couche moyenne d’arriver au pouvoir a été déçue que cette couche moyenne se perd en ressentiment. Oui, il ne suffit pas de citer Nietzsche pour échapper à ce ressentiment qui fut le grand ennemi du philosophe. Il y a un peu du Houellebecq à ses début chez Boucher mais un Houellebecq qui aurait plutôt écrit Réduction du domaine de la lutte.

Haine de soi, haine de la démocratie, recherche de l’homme providentiel, du sauveur, du Guide, nietzschéisme, défense du capitalisme. Il y a tous les ingrédients d’un bon cocktail que j’appellerais Marche-sur-Rome. Oui, j’ai envie de répondre fascisme même version à son « communisme 2.0. » On pourra me reprocher cette reductio ad hitlerum (cependant notez que je parle de fascisme et pas de nazisme). A chacun ses références. Le tyran de référence pour Boucher, c’est Lénine qui aurait dit « à l’homme regardé en face, ses yeux embués d’émotion : Tu n’aimes pas la liberté. Tu n’en as pas besoin. Ta nature ne l’appelle pas ». Marx et Engels l’écrivaient déjà au début du Manifeste du Parti communiste : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. » Je pensais naïvement qu’il ne hantait plus les cauchemars du petit ou du grand bourgeois depuis la Chute du Mur de Berlin. Je pensais naïvement que le monde « libre » avait plutôt recyclé d’anciens dignitaires nazis dans ses rangs. Voyez Reinhard Höhn dont Johann Chapoutot parle dans son livre Libres d’obéir. Sans parler de ce millier d’anciens nazis recrutés par la CIA pour des missions de renseignement dirigées contre l’URSS. Mais voyez-vous, le plus grand mal qu’on puisse faire au petit ou au grand bourgeois, c’est « d’être privés d’accès (…) à la propriété », et qui dit privation de propriété privée dit communisme. Klaus Schwab le dit : « vous ne posséderez rien et vous serez heureux ». Le communiste est contre la propriété. Celui qui veut vous priver de propriété est communiste. Donc Klaus Schwab et ses Schwabettes (Trudeau, Macron, Jacinda Ardern, Sanna Marin, Sadik Khan, Sebastian Kurz, etc.) sont communistes. « Lénine relève-toi, ils sont devenus fous », comme chantait Michel Sardou. Le syllogisme et le sophisme sont le contraire de la pensée, de la philosophie. Nicolas Boucher n’entend-il pas que dans la chanson russophobe entonnée par les Schwabettes, il y a ce fond d’antibolchevisme, une réhabilitation de ceux qui entre 1939 et 1945 ont ravagé les plaines slaves ? Il me semble que ceux qui ont payé le prix fort du nazisme ce sont bien les soviétiques, il me semble que ceux qui ont payé le prix fort du communisme, ce sont aussi ces mêmes soviétiques ! C’est toujours la même rengaine : il s’agit de sauver le capitalisme car le capitalisme, c’est la liberté. « Plutôt Hitler que le Front populaire ! », criait les aïeux de Nicolas Boucher. Il a bon dos, le communisme. Ce communisme qui n’a jamais existé et qui n’existe que dans les peurs de Nicolas Boucher.

Certes Nicolas Boucher se défend des accusations que je lui porte car il s’y attendait : « On m’inventera un autre pedigree. L’extrême-droite ! Le néo-nihilisme ! Un anarcho-fasciste ! Un partisan du chaos (…). Notre démocratie ne serait-elle pas, au fond, avec des individus tels que Nicolas Boucher, armés, organisés, déterminés à nuire, orfèvres de la préméditation, en danger ? Voilà bien ce qu’ils pourraient inventer. Ce qu’ils inventeront. Alors que moi, cher lecteur, lorsque je ne réfléchissais pas à ce projet de sauvegarde de l’humain, en général, dans ma chambre de Maisons-Alfort percée d’un vasistas sur le ciel zébré des étranges traînées d’avion survolant désormais le 94, je relisais, seul comme j’aime à l’être depuis le lycée, les œuvres complètes de Leopardi empruntées à la bibliothèque municipale où je travaille depuis 17 ans.
Oui. De Leopardi. 
»

Rappelons en passant que les ennemis de la démocratie sont ceux qui étaient à la manœuvre lors de la crise dite du Covid 19 ; ceux-là même n’auraient-ils pas acquiescé ou même ne sont-ils pas les enfants du rapport commandé par la commission trilatérale et parue en 1975 dans lequel Michel Crozier, Samuel P. Huntington et Jôji Watanaki écrivaient : « la démocratie (…) signifie l’accroissement irrésistible des demandes qui fait pression sur les gouvernements, entraîne le déclin de l’autorité et rend les individus et les groupes rétifs à la discipline et aux sacrifices requis par l’intérêt commun ». On croirait du Nicolas Boucher dans le texte, lui qui a fait ce sacrifice en tuant Macron.

Boucher est un esthète. Peut-être faut-il comprendre qu’il cherche avant tout la gloire littéraire ? Il y a un besoin de reconnaissance à vif chez lui.

Nous sommes tous déboussolés par notre époque. J’écoute des communistes, restés fidèles à la cause, soutenir la Chine populaire car il y aurait encore quelque chose du socialisme qui se jouerait là-bas. Il ne faut pas désespérer Billancourt comme disait Jean-Paul Sartre, même et surtout s’il reste très peu de Billancourt, même si Billancourt-forteresse ouvrière a disparu. Le bazar intellectuel de Nicolas Boucher fera des adeptes, il en existe déjà. Tel est le piège avec le fascisme : il peut s’accoutrer des habits de la critique. Les staliniens 2.0 disent des choses justes et même bien mieux que lui, avec plus de rigueur intellectuelle à mon goût parce qu’ils osent critiquer radicalement le système. Ils ne veulent pas le défendre comme le fait l’auteur. Est-ce pour cela que j’en appelle à un nouveau Staline ? Je vois aussi parmi nous les opposants au pass sanitaire, certains qui tombent dans le mépris pour le commun des mortels, les « mougeons » (contraction de mouton et de pigeon). Je veux dire à tous que la démocratie est la seule voie qui mène à la liberté. C’est elle, et elle seule, qui revendique l’autonomie de l’être humain, autonomie que le pouvoir traque et nous dérobe partout, tout le temps. C’est cet être humain assujetti, dépendant, esclave que s’ingénie à fabriquer le pouvoir et à exhiber devant les caméras comme un phénomène de foire. Nicolas Boucher le sait : « Il faut refuser le discours qui fait de nous les seuls coupables. Ce discours est aussi une de leur construction, il est l’arme la plus aboutie de leur coercition. Il ne faut [pas] s’arrêter à lui. »

Nicolas Boucher est le fils de la Ve République, le fils orphelin. Jamais il ne cite de Gaulle parce qu’il oublie une chose sur le chemin de ses diatribes : la politique. Parce que citer de Gaulle serait faire sortir la statue du Commandeur qui viendrait nous faire payer nos crimes. Je veux dire par là que la Ve République fut taillée à la mesure de L’Homme-Résistant-Général-Président. De Gaulle possède quatre corps du Roi quand deux corps suffisent normalement pour faire en sorte que l’un des deux soit immortel. « Le Roi est mort. Vive le roi ! ». L’ombre de de Gaulle se projette sur tout individu qui aspire à la fonction suprême. De Gaulle et ceux qui on taillé une constitution à sa stature sont responsables de la venue des Giscard, Hollande, Sarkozy, Macron, etc. Il ne pouvait y avoir qu’un seul président de la Cinquième République. Les uns ont au mieux repassé le costume sans vraiment le revêtir (Mitterrand, Chirac), les autres ont taillé dedans à grands coups de ciseaux et l’ont mis en lambeaux, cachant la misère de l’habit en lui collant des étoiles jaunes cousues de fils bleus. De Gaulle est parti en murmurant « Après moi le chaos ! », ce chaos qu’il avait vu agir sous la IVe République. Alors parce qu’on ne trouvera nulle part un Homme-Résistant-Général-Président, on en appelle à un hypothétique prophète. Vœu pieu, prêche dans le désert !

Mais peut-être que nous allons vivre la fin de cette République spectrale, morte depuis 1969 dans peu de temps ?

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