L’amour des mots
L’Écho – Chloé, quel plaisir de te retrouver et d’avoir l’occasion de mieux connaître ton univers ! Tu es une jeune auteure, compositrice et interprète qui mène sa carrière de façon très personnelle. Peux-tu nous dire ce qui est à l’origine de ton parcours ?
Chloé – Au départ, il y a eu les mots, ou plutôt l’amour des mots. Assez tôt et assez naturellement, cela s’est transformé en poésie. J’étais en recherche de poésie pure sur le modèle de Paul Éluard, ma principale inspiration. J’adore écrire, ce que j’ai commencé à faire très jeune, sur des cahiers comme beaucoup de personnes et j’ai toujours cultivé cela. Les morceaux de mon premier album, La note exacte, reprennent des écrits de mon adolescence. Aujourd’hui je continue à écrire chaque jour, deux heures par jour minimum. Cela donne une autre dimension à la vie, les mots nourrissent énormément l’âme. On est entouré de tellement de choses, les mettre en mots les concrétise, les rend presque mystiques et le lien musique – mots donne quelque chose de divin ! Je crois que cela résout la question de la mortalité, de la finitude. Les mots sont une photographie d’un instant, ils sont, dans notre incarnation, une façon de le rendre immortel. Cela me fascine et me bouleverse à chaque fois que j’écris.
La musique est arrivée ensuite. Au début, je voulais faire de la batterie mais nous n’avions ni la place, ni les moyens, donc mes parents m’ont acheté une guitare électrique à neuf ans et j’ai commencé comme ça, en autodidacte, je n’ai jamais pris de cours. J’ai la chance d’avoir l’oreille absolue. J’ai ensuite mis en chanson tout ce que j’avais écrit dans mes petits carnets (…) La musique nous lie, c’est un langage universel, une connexion à l’autre, cela permet d’extérioriser les choses. Il y a également la notion d’accomplissement, la quête de sens, savoir que l’on est sur le bon chemin. On est dans une société qui nous éloigne de notre être profond. En créant, on fait quelque chose pour notre être.
Après The Voice en 2017, tu sors en 2018 ton album La note exacte où tu reprends des écrits entre 15 et 18 ans. Tu y exprimes l’importance des mots, l’intérêt de trouver le bon mot, la « note exacte » ?
Oui, très exactement entre 15 et 17 ans. La note exacte, c’est l’intérêt de trouver le bon agencement de mots, trouver la justesse, quelque chose qui traduise exactement notre sentiment. Par exemple, le sentiment amoureux, c’est quelque chose qui me fascine, c’est tellement dur de le décrire, tellement fort et impalpable, c’est sans doute pour cela qu’il y a autant de chansons d’amour ! (…) Dans mon prochain album, A l’aube de l’écorchure, le morceau Infime Infini décrit exactement ce que je ressentais à ce moment-là. Là, cela devient magique, c’est tout à fait juste, à cet instant, j’ai atteint la note exacte, par le biais de la musique par-dessus les mots, elle est là mon histoire, dans cette chanson, dans tous ces mots-là. Dans mon prochain album, j’ai pris onze belles photographies (en référence à la première question), il y a onze chansons !
En 2018, tu chantais déjà « on ne s’en sort pas en se conformant, on s’en sort en résistant »
A cette époque, je ressentais déjà un décalage, en termes de sensibilité j’ai toujours eu un peu de mal à m’adapter, je me suis souvent sentie en décalage, notamment avec cette fâcheuse tendance que cette société a de nous coller des étiquettes et de nous réduire à une seule chose. Par exemple, j’ai toujours eu du mal à m’adapter au côté lucratif, « gagner sa vie », ça veut dire quoi ? A cette époque, je ne comprenais pas bien. A 17 ans, on te demande de choisir ton métier donc quand tu dis que tu veux être chanteuse …
Chloé a eu la chance d’être soutenue par ses proches mais elle reconnaît que cette place d’artiste est compliquée à avoir, un parcours à la fois difficile mais très évident la concernant. (NDLR)
Tu quittes ta ville d’origine, Limoges, pour Paris en 2019. Comment cela se passe pour toi ?
Mon objectif, quand je suis arrivée à Paris, était de tourner partout, j’avais un peu le rêve parisien. Mais j’ai constaté une dégradation et un désintérêt de la culture, un individualisme profond qui s’est installé dans notre société. J’ai commencé à tourner un peu, j’ai été embauchée au cabaret le Chat noir. J’ai été plutôt déçue, moi qui adore les chanteurs comme Brel ou Barbara, qui ont commencé dans des cabarets.
Je suis arrivée quelques mois avant le confinement et je me suis retrouvée confinée dans mon petit appartement de 17 m2. Ce qu’il s’est passé en 2020 a été terrible, inhumain, même criminel, on a vécu quelque chose d’inadmissible … Dans Notre jeunesse hurle*, je pensais aux dégâts que cela allait occasionner pour des jeunes isolés dans de minuscules appartements de 10 m2, ou au sein des foyers où il pouvait y avoir de la violence, tout ce dont on ne parlait pas. On a laissé des gens mourir, qui se sont suicidés. Le gouvernement a tué des gens, je n’ai pas peur de le dire et c’est triste de voir qu’il y a si peu d’artistes qui se sont prononcés…
Je me révolte donc nous sommes !
« La révolte est l’une des dimensions essentielles de l’Homme. Elle est notre réalité historique (…). Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le cogito dans l’ordre de la pensée, elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de la solitude. Je me révolte donc nous sommes ». Que penses-tu de cette citation de Camus ?
« Cette citation est très belle ! C’est admirable … Parfois il faut peu de mots et tout est dit ! »
Nous avons effectivement pensé que cette citation introduisait bien les sujets suivants et la sortie de Liberté je crie ton nom en septembre 2021. (NDLR)
Peu d’artistes se sont exprimés pendant la crise sanitaire, sauf ceux qui étaient pour les mesures liberticides. C’était une prise de risque importante pour une jeune artiste. Quelle a été ta principale motivation, et cela t’a-t-il porté préjudice par la suite ?
Je ne l’ai pas vu comme une prise de risque. Si je ne l’avais pas fait, cela aurait été à l’encontre de moi-même. Il fallait faire quelque chose, il fallait que j’écrive un truc ! J’avais les mots et la musique, j’ai voulu écrire une chanson qui parlait à tout le monde.
On peut être fiers de nous, d’avoir tenu, ce n’était pas facile, on a porté la haine des autres.
Écrite en quatre heures, Liberté je crie ton nom est sorti dans l’urgence. Chloé reconnaît que cette chanson est différente des autres, elle n’était pas dans la recherche de « la note exacte » mais d’une chanson qui pourrait être partagée par tous, qui va droit au but, assez frontale, ce dont nous avions besoin. (NDLR)Le succès de ce titre (409 000 vues sur Youtube aujourd’hui) t’a quand même valu une arrestation à Nice…
Ils m’ont fait un bon coup de pub ! Mais rassurez-vous, ça ne m’a pas perturbée (…) Rien ne m’enlèvera mes convictions si je sais que je suis dans le juste, je suis ainsi dans ma vie, dans mon art, alors oui je suis déçue, en pensant à des artistes qui auraient pu s’exprimer mais qui ne l’ont pas fait, sans doute à cause de contraintes de leur côté.
Il y a en effet, derrière la plupart des artistes, des maisons de production qui ne leur permettent pas de se positionner. Et de revenir sur les discriminations dont nous avons été victimes, avec un parallèle intéressant (NDLR) :
Les personnes « adaptées » qui ont fait le choix de ne pas se faire vacciner, n’avaient jamais vécu de discriminations jusque-là. Ils se sont retrouvés à la même place que certaines minorités. Je relie cela à l’homophobie ou la xénophobie, avec ces personnes qui, subitement, se retrouvent en marge de la société alors qu’elles n’avaient jamais vécu cela auparavant. On retrouve la peur (phobie) de l’autre. C’est très brutal. Après, je ne suis pas dans le jugement, que les gens soient vaccinés ou non, je pense qu’ils ont eu chacun leurs raisons.
Cette période a été malheureuse, mais elle nous a enrichis et nous a offert la possibilité de créer des liens profonds entre des êtres, sur la base de belles valeurs et d’une éthique partagée. J’ai eu des émotions incroyables, et l’impression d’avoir traversé mille vies, tant c’était riche.
Ses plus belles rencontres ? Ceux qu’elle a croisés sur la route pendant ses tournées ou rencontrés en manif. Chloé a sillonné la France, elle a beaucoup voyagé, également dans d’autres pays (Luxembourg, Italie, Espagne). (NDLR)
Cela m’a confortée dans mes convictions que la liberté et la tolérance sont essentielles à notre humanité et qu’il faut rester au maximum dans le non-jugement. Sinon, on rentre dans ce qu’ils veulent, la division.
Remettre en lumière l’obscurité
Il y a un thème que nous souhaiterions aborder, c’est celui de la résilience. Certaines de tes chansons, principalement au début, traitent de peines, de désespoir. Mais on sent aussi cette aspiration à aller vers la lumière…
On a tous vécu des traumatismes, on est dans une société où il faut à tout prix être fort et garder une certaine posture. La résilience, c’est accepter le fait que l’on peut tomber, accepter de tomber et essayer de comprendre ce qu’il se passe, il faut aller en soi, et mobiliser ses ressources intérieures, revenir en soi, à l’amour de soi, se reconnecter à l’essentiel, retrouver la force et en tirer les conclusions pour toujours évoluer et faire le bien autour de soi, essayer de se remettre en question. Pour moi, cela se passe par le biais de l’écriture. Remettre en lumière l’obscurité. Bien sûr, cela nécessite de se battre. Je vous dis cela d’après mon expérience, mais chacun suivra son chemin de résilience.
Quelques années plus tard, quel est le chemin parcouru depuis La note exacte où « on s’en sort en résistant » ?
J’évolue en permanence ! J’avais beaucoup plus de colère avant, de dureté, cela s’entendait dans ma voix. Aujourd’hui je tends plus vers la lumière, vers l’Amour (avec un grand A), accepter que l’amour soit une force et non une faiblesse. J’ai beaucoup voyagé également, cela m’a beaucoup apporté.
Elle évoque son ouverture à la spiritualité, déjà présente quand elle était enfant et qui s’est développée par la suite.
J’ai toujours eu une certaine sensibilité (…) C’est devenu de plus en plus fort avec le temps. Je m’ouvre d’avantage et cela laisse passer plus d’énergie. Je me sens plus forte dans la lumière, je n’ai donc plus peur de l’obscurité. La spiritualité c’est l’amour. J’ai pris conscience de certaines choses et tout s’est ouvert et cela ne cesse de s’ouvrir.
La magie de la Bretagne
La plus belle région ! J’ai vécu à Paris, également à Nice et dans de grandes métropoles, je suis née à Limoges mais la Bretagne, c’est la faune et la flore, il y a tout, la terre bretonne apporte beaucoup d’énergies, elle inspire énormément et la reconnexion à la nature est très forte.
On note à travers ton parcours et tes publications une attirance pour la Bretagne…
Quand je suis arrivée en Bretagne, j’ai eu l’impression de « retrouver ma terre ». Ayant des origines bretonnes, c’est peut-être un lien. Je suis arrivée à Quimper, à la suite d’une rencontre musicale, et j’ai pris une claque ! Est-ce la nature, la culture également, plutôt rock, que l’on a conservée en Bretagne, (…) je ne m’explique pas cette magie qui se produit et qui me bouleverse à chaque fois. J’adore les paysages dans toutes leurs variations. Et contrairement au Sud où j’ai vécu, ici différents ciels peuvent se succéder, les lumières sont très changeantes au cours de la journée, c’est cela que j’apprécie aussi. Au bord de la mer, tu as une impression troublante, entre l’eau, le ciel, l’air, tout semble si vivant et immense (…) Cela nous ramène à notre place. Quand tu rentres chez toi, il s’est passé quelque chose ! Tu reviens un peu en toi.
Que penses-tu des mots de l’écrivain B. Traven : « ma patrie se trouve où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais » ?
Je trouve cela magnifique et très juste en ce qui me concerne. Sur la question de l’appartenance, je chante parfois une chanson qui reprend cette idée, Naci en Alamo, qui figure dans la bande originale du film Volver d’Almodovar, magnifiquement interprétée par Yasmin Levy et que je vous conseille d’écouter. Ma place est toujours dans l’amour et c’est cela, notre patrie à tous !
A l’aube de l’écorchure
Après The Voice, Chloé s’est inscrite dans une démarche artistique personnelle ; elle s’est auto-produite avec le soutien d’une association. Aujourd’hui, elle aimerait aller vers un label indépendant, elle souhaite avant tout être libre de dire ce qu’elle veut et s’entourer des bonnes personnes. (NDLR)
J’ai besoin d’un public fidèle, pas un gros public mais un public que je retrouve, je veux un réel contact avec les gens, prendre le temps avec eux, j’exerce un métier humain, sensible.
La sortie de son nouvel album A l’aube de l’écorchure a été un véritable parcours du combattant. Il sortira courant novembre avec onze titres dont elle est très fière ! Une tournée est prévue, qui commencera au Novomax de Quimper en janvier 2025.(NDLR)
J’aurai pris le temps nécessaire pour aboutir à ce que je voulais. Je préfère ne pas me précipiter en sortant un album tous les deux ans dont je ne serais pas spécialement satisfaite.
A l’aube de l’écorchure**, le titre a-t-il été inspiré par Les Ecorchés de Noir Désir ?
Pas spécialement, mais je reprends souvent ce titre en concert. Après, il y a peu de références de rock français. Noir Désir, Damien Saez, ce sont des références en soi mais j’ai mon identité propre, qui tend plus vers quelque chose de lumineux.
En Bretagne, Chloé a rencontré Romain Le Bleis qui a réalisé le clip d’A l’aube de l’écorchure, tourné à Perros-Guirrec, dans les rues de Quimper et en baie d’Audierne, et également la pochette de son album. (NDLR)
Je trouve qu’A l’aube de l’écorchure est une chanson lumineuse. Dans le clip, il y a une recherche de lumière. Cela reprend la vie de quelqu’un qui est dans le sombre et qui court vers la lumière, la recherche de l’aube. Cette chanson, pour moi, c’est la résilience.
Cet échange arrive à son terme, même si nous sommes certains que nous avons encore beaucoup à apprendre sur toi. Nous espérons qu’il donnera l’envie à nos lecteurs d’écouter ton répertoire et de découvrir tes nouvelles œuvres. Un immense merci Chloé, pour ta disponibilité et ta sincérité ! Et permets-nous, en notre nom et en celui de beaucoup de personnes, de te remercier encore pour ton implication courageuse de ces dernières années !
* Extraits des paroles de Notre jeunesse hurle
(…) Où en sommes-nous entre espérance et détresse ? (…)
L’absence précieuse de cette chaleur humaine où nous confions à nos amis nos joies nos peines (…)
Désormais que reste-t-il de nos étreintes, de nos baisers volés par la crainte de livrer cette dame vêtue de noir à nos anciens, nos parents, à notre histoire.
Notre jeunesse hurle, l’entendez-vous ?
A travers mille murs elle murmure l’absence d’un tout (…)
(…)
** Extraits des paroles d’A l’aube de l’écorchure :
(…)
Des beautés assassines
Des fresques magnifiques
Des couleurs unanimes
Aux allures prophétiques
À l’aube de l’écorchure
J’y crucifierai mes plaies
Pour bénir mes blessures
À l’instar de l’art sacré
Puisque perdure l’usure
Que le temps l’entretient
De ces vents qui saturent
J’invoquerai le divin
Si nous sommes les Dieux
Sous cette stratosphère
Mais que l’état nous suggère
Ne nous éloigner des cieux
Nous le feu, nous la sève
Nous la marque sur l’écorce
Nous la flamme qui regorge
De passions et de fièvre
Un nouveau soir se couche
S’extasie l’âme lunaire
Le crépuscule accouche
D’étoiles intemporelles
Je sais ton cœur béant
Je sais sa déchirure
Mais l’être résilient
Sait sublimer l’obscur
(…)
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Le clip officiel d’A l’aube de l’écorchure
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