Théorie
Le livre de stratégie est une spécialité chinoise. Vers 1940, on en dénombrait plus de 1300 jalonnant la très longue histoire de l’Empire du Milieu. On pense bien sûr à L’art de la guerre de Sun Zu (544-496 av. J-C). Il est vrai qu’il a été longuement copié et commenté, mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt.
Les 36 stratagèmes est un cas particulier. Sa rédaction finale serait du XVIIe siècle mais il semble qu’il soit le résultat de compilations bien plus anciennes, remontant selon certaines sources au Ve siècle de l’ère commune. C’est un bréviaire de stratégies extrêmement structuré. C’est une quintessence.
Le cœur de l’ouvrage se compose en effet d’une liste de trente-six stratagèmes choisis parmi la centaine recensée tout au long de l’histoire militaire de la Chine. Ils sont répartis en six situations distinctes :
plans pour les batailles indécises
plans pour les batailles offensives
plans pour les batailles à partis multiples
plans pour les batailles d’union et d’annexion
plans pour les batailles presque gagnées
plans pour les batailles presque perdues
Chaque situation propose six ruses possibles. Elles sont énoncées sous forme de locutions proverbiales quadrisyllabiques souvent imagées. Ces dictons sont explicités de façon aussi énigmatique que lapidaire et rattachés à des hexagrammes du Livre des mutations ou tout au moins à sa phraséologie. La traduction du proverbe dans le langage de la dialectique yin-yang, fournie par l’explication vient se doubler d’un commentaire qui éclaire par une illustration littéraire ou historique le message cryptique ; en sorte que Les 36 Stratagèmes se présente comme ces textes gigognes de l’antiquité chinoise, où une formule très dense et cryptique, formant l’exposé canonique, se trouve développée dans une explication qui en laisse entrevoir la signification, mais nécessite néanmoins une glose plus développée pour être à demi-comprise, laquelle à son tour requiert une exégèse pour être pleinement saisie.
Exercice pratique
Mais trêve de théories. Vite, pratiquons ! Ici, la preuve que (parfois) la plume est plus forte que l’épée. Merci Monsieur Confucius pour l’excellence de votre disciple. Ici, le stratagème Éliminer un adversaire avec une épée d’emprunt, c’est à dire téléguider quelqu’un pour faire la guerre à votre place.
Que d’intelligence ! Histoire vraie. À l’époque des Royaumes Combattants, peut-être contemporain de la bataille de Marathon.
Tian Chang, le ministre du puissant royaume de Qi voulait organiser un coup d’État en sa faveur. Prévoyant l’opposition des grands du Royaume, pour les affaiblir, il eut l’idée de mobiliser leur armée afin d’attaquer le petit royaume de Lu où vivait Confucius. Pour sauver ses terres ancestrales, le grand sage envoya Zigong, son meilleur disciple parlementer avec le potentat. Zigong lui tint à peu près ce langage :
— N’attaquez pas le Royaume de Lu, il est bien trop faible. Attaquez plutôt le redoutable royaume Wu. Pour vous seul, perdre la guerre sera bien plus rentable.
Passée l’incompréhension de son interlocuteur, le philosophe s’expliqua :
— Votre politique extérieure vous pose des problèmes ? Attaquer un état faible, cela compense vos difficultés sur l’échiquier international mais renforce le pouvoir et le prestige de votre prince, de son armée et de ses généraux, vos rivaux. Et vous perdez en influence. Par contre, la défaite de votre pays contre Wu vous sera bien plus profitable. Votre souverain et ses généraux seront déconsidérés, affaiblis : de ce fait vous pourrez prendre le pouvoir plus facilement.
— Votre idée est séduisante mais la guerre est déjà préparée contre Lu et désigner un autre ennemi si brutalement pourrait éveiller des soupçons.
— Retardez le départ des troupes, envoyez-moi en ambassade auprès de Wu et laissez-moi faire, je vais le convaincre de vous attaquer le premier.
Le prince de Wu se préparait à détruire définitivement l’état de Yue après une précédente guerre déjà remportée. Zhigong lui fit remarquer que son principal ennemi était l’état de Jin et qu’une victoire contre Qi le renforcerait contre ce rival de toujours. Persuadé, le monarque décida d’attaquer Qi à condition que Yue ne l’attaque pas lui-même.
Le disciple de Confucius partit pour Yue et recommanda au prince de ne pas attaquer tout de suite Wu, d’attendre qu’il se soit épuisé à la guerre pour se retourner contre lui.
Enfin, Zigong prévint Jin que Wu, une fois victorieux de Qi, l’attaquerait très certainement.
Que croyez-vous qu’il arrivât ?
« Wu défit Qi, laissant le champ libre aux ambitions de Tian Chang. Jin l’emporta sur Wu qui avait espéré profiter de sa première victoire pour se débarrasser de son principal rival et Yue, bondissant sur l’occasion, porta à son ennemi mortel le coup fatal.
Ainsi en un seul voyage Zigong sauva Lu, déstabilisa Qi, causa la perte de Wu, contribua à renforcer Jin et donna une brève hégémonie à Yue. Son ambassade avait précipité les unes contre les autres les puissances rivales et dans les dix années qui suivirent, chacune d’entre elles en éprouva les conséquences (Annales de Sima Qian, chapitre 67). »*
Beau travail ! Même s’il reste un goût amer sur les morts, les malheurs, les souffrances endurées. Mais qu’attendre d’un pays dont les généraux, à cette époque, se flattaient de motiver les hommes et de faire régner la discipline dans leurs troupes en exécutant 40% des effectifs ?
Les 36 stratagèmes
Traité secret de stratégie chinoise
François Kircher (Directeur éditorial), Les éditions du Rocher, 2001
4e de couverture de l’éditeur :
En 1939, sur un marché de Chine du Nord, un officiel du Guomindang découvre un livre de recettes d’immortalité. A la fin de l’ouvrage se trouve un court traité de stratégie: Les 36 stratagèmes. Ce recueil secret datant probablement de l’époque de la dynastie des Ming (1366-1610) offre un tableau exhaustif de toutes les ruses et des différentes méthodes, accompagnées de commentaires, qui permettent de les interpréter en termes de stratégie militaire. Manuel de guérilla ou traité de philosophie inspiré du livres des mutation (Yijing), il permet de faire face à toutes les situations conflictuelles, et de l’emporter sur l’adversaire, jusque dans les batailles presque perdues : Rien dans les mains rien dans les poches ruse des mauvais jours ruse des ruses. Le Yiking dit: « A la frontière en force et faiblesse » Un livre à ne pas mettre entre les mains de son ennemi…