Bazar et bizarreries de notre normalité

Nous vivons peut-être des événements qui n'arrivent que très rarement, quand les choses vont au bout d'elles-mêmes, au bout de leurs contradictions. Restons modestes cependant : les supernovæ se produisent presque toutes les secondes dans l’univers observable. Apprenons à observer.

Une introduction au covidisme

J’irai traquer le covidisme pendant près de six siècles. Je vous demanderai donc de vous armer d’un peu de patience.
J’y mettrai plus de fantaisie poétique que de rigueur scientifique ou philosophique. Je crois que l’imaginaire est notre raison.

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D’abord, il convient de dire dans quel monde je crois vivre, et donc dans quel monde je vis réellement, et par conséquent qui je crois être.

L’esclave que je suis, plus marron qu’affranchi, est toujours en quête de sa liberté. Ce ne sont pas les maîtres qui peuvent nous libérer, sauf les maîtres que l’on se donne.
Il n’y a rien de plus libérateur que de se donner une identité à soi-même.

Être marron, c’est vivre dans les cimes. Échapper au marais.

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Tant que nous ne serons pas devenus des transhommes, il ne nous arrivera que des choses humaines.

Nous vivons peut-être des événements qui n’arrivent que très rarement, quand les choses vont au bout d’elles-mêmes, au bout de leurs contradictions. Restons modestes cependant : les supernovæ se produisent presque toutes les secondes dans l’univers observable. Apprenons à observer.

Les vraies révolutions préfèrent le temps long. Les vraies révolutions sont irréversibles. Quand un nouveau monde naît, il met du temps à s’installer. Il fallut presque cinq siècles après la naissance du Christ pour que Clovis fût baptisé. Le premier roi de France à le faire. Mais l’histoire eut besoin seulement de moins de quatre siècles pour offrir un triomphe au Marchand. Moins de quatre siècles pour que Guillaume Fichet se transformât en Jérôme-Nicolas Séchard : 1470-1837.

C’est sous les presses de Gutenberg que Guillaume Fichet fut le premier à introduire en France en 1470 que naquit le monde qui triompha en mars 2020.
Jérôme-Nicolas Séchard, c’est le père analphabète d’un des deux poètes des Illusions perdues. L’analphabète devenu imprimeur.

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Un jour de juillet 2021, le jeune homme que je fus, revint me hanter subitement, un jeune homme qui se demandait à nouveau avec Rimbaud : « Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre ! Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la vie. » (« Matin », Une saison en Enfer).

Oui, esclave, je cessai de maudire la vie en ce mois de juillet 2021. J’avais à nouveau seize ans.
Dans les rues de Paris, noires de monde, j’entendais le chant des cieux, je voyais la marche des peuples, et j’espérais que, plagiant Charles Péguy, ce que je sentais commencer en mystique ne finirait pas en politique. Je n’ai jamais aimé la foule, elle m’a toujours effrayé. Mais, à ce moment-là, je n’étais pas en compagnie d’anonymes. Il me semblait connaître chaque manifestant personnellement. J’avais loupé les Gilets Jaunes parce que je n’avais pas trouvé de ronds-points autour de chez moi. Je n’habitais pas une ville à ronds-points… Je n’avais pas le droit de me rater à nouveau.

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Avant il y eut mars 2020. L’assignation à résidence autrement nommée « confinement ». Cela fait plus scientifique moins politique. Le pouvoir ne rêve que de cela : supprimer la politique, faire croire qu’au gouvernement des hommes a succédé la gestion des choses. Nous ne sommes plus que des choses, des Stücke, comme disaient les nazis à propos des déportés envoyés dans les camps, propos que rapporte Primo Levi dans Si c’est un homme.

Avant il y eut mes renoncements et mes lectures crépusculaires. Quand je tombai, je voulais que le monde tombât avec moi. Je le trouvai écroulé, avachi, piétiné chez Günther Anders, Guy Debord, Jaime Semprun. Ceux-là ne piétinaient pas le monde, ils en montraient la désarticulation, le démembrement.
Je découvris le covidisme chez Cédric Lagandré dès la parution de La Société intégrale en 2009. A l’époque, je rôdais encore dans les librairies très fréquemment, et je ne ratais pas ou peu les sorties. Un titre pareil et une quatrième de couverture qui proclamait ce qui suit ne pouvait que m’arrêter : « Nous partageons malgré nous avec les totalitarismes le rêve utopique d’une sociabilité pure, d’une société intégrale et sans histoire, dans les deux sens du terme. Jamais les sociétés ne se montrèrent moins violentes et plus dociles, et jamais pourtant la tranquillité, et la police qui la garantit, ne furent à ce point désirées. Le totalitarisme s’assignait pour but de produire un corps social intégral, parfaitement soudé, saturé de coutures, c’est-à-dire une société sans sujets, sans conflit ni diversité, immédiatement mobilisable dans son intégralité. Or, c’est à certains égards ce même but que la société de contrôle à laquelle nous consentons quotidiennement est tentée, en vertu de sa structure propre, de poursuivre. De quelle anormalité nous sommes-nous accommodés ? Quelle est la bizarrerie de notre normalité ? Quel sera l’inouï sous lequel les temps futurs, s’il y en a, percevront les temps actuels ? »

Voilà les trois questions auxquelles je voudrais répondre aidé par ces penseurs cités plus haut et d’autres encore.

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Les quelques rares passants masqués et effrayés, les commerces fermés, les rues vides. En ce mois de mars 2020, le monde réel ressemblait enfin à ce qu’il était. Le monde avait cessé de mentir. Mais à qui mentait-il encore ? M’avait-il jamais menti ?

La ville où je vivais alors fait partie des vingt villes ou arrondissements en France de plus de vingt mille habitants où les riches sont les plus riches. « Ces 20 territoires concentrent la richesse. Y vivent ceux qui décident des politiques publiques nationales, les cadres dirigeants et les hauts fonctionnaires. C’est la France de l’argent, du pouvoir de l’entreprise, des médias, de la politique. Ces riches des territoires les plus aisés disposent d’un niveau de revenu bien supérieur à celui de la France moyenne. » 1 Une ville où je payais sept cent euros de loyer et charges pour vingt sombres mètres carrés où le soleil n’entrait jamais, un trou à rat. Le seul logement qu’on voulut bien me louer (avec caution), un rare logement qui n’était pas sous la garantie « loyer impayé » car pratiquement impossible à louer, pas loué depuis longtemps quand je signais le bail. Aujourd’hui, plus d’un an et demi après mon départ – j’écris en mai 2024 –, mon nom demeure encore sur l’interphone. On ne part pas aussi facilement qu’on le croie. J’ai souvent déménagé et souvent eu la sensation de laisser une partie de moi-même à l’endroit que je quittais. Il était incongru que j’habitasse cet endroit incongru. J’aime péter plus haut que mon cul. Je n’ai jamais voulu rester à la place que le monde m’assignait. Je suis ce qu’on appelle un transclasse, un névrosé de classe, notion que je découvris dans le livre La Névrose de classe, Trajectoire sociale et conflits d’identité, de Vincent de Gaulejac, livre dans lequel il dresse le portrait le plus juste qu’on ait jamais dressé de moi-même (mais qui aurait pu s’intéresser à dresser mon portrait ?) :

« Coupé de son milieu d’origine, l’autodidacte l’est également des autres milieux et en particulier des classes dominantes dont il admire l’aisance, la culture et la désinvolture, mais qu’il méprise et rejette profondément. D’un côté il aimerait s’intégrer à ce monde, se faire reconnaître comme l’un des leurs, de l’autre il se méfie d’eux et les hait. (…) Pour Hoggart, la propension des autodidactes à se rendre insupportables face aux bourgeois doit être interprété comme un désir inconscient d’être rejeté par eux. Homme divisé entre un monde auquel il aspire tout en le rejetant, l’autodidacte peut devenir un homme solitaire, indécis, amer, tourmenté et anxieux ».

Richard Hoggart qui est cité ici a été le premier à me « sauver ». Grâce à son livre La Culture du pauvre, Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, traduit en 1970 en français, j’ai commencé à comprendre qui j’étais. J’ai été cet homme solitaire, indécis, amer, tourmenté et anxieux, et je suis toujours cet homme aujourd’hui, dans une moindre mesure peut-être qu’à trente ans car j’en suis plus conscient.

A partir d’octobre 2021, j’ai connu ce grand plaisir à me « rendre insupportables face aux bourgeois » en défilant dans les rues de Saint-Germain-en-Laye lors de manifestations.

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Seuls ceux qui sont à leur aise dans ce monde peuvent écrire un Contre Sainte-Beuve. Je ne peux pas séparer l’homme réel de l’homme qui pense ou qui écrit. Cependant, je n’en veux pas tirer une règle universelle qu’il conviendrait d’appliquer à tous, partout et de tout temps. Chacun à son once de vérité, et c’est cette once-là que je cherche à trouver et à vous offrir. Rien d’autre et nulle vérité absolue. Mais si j’écris et vous livre tout cela, c’est parce que j’espère que cette once de vérité pourra s’additionner à la vôtre, qu’elle pourra vous éclairer ou vous émouvoir. J’ai l’ambition du Rousseau des Confessions : former « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple ». J’ai la prétention de n’être « fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu. » Mais contrairement à Jean-Jacques, il ne s’agira pas de « moi seul » dont je ferai le portrait. Parce qu’on est jamais seul, dussions-nous être un « homme solitaire ». L’écriture me délivre de mon amertume, de mes tourments et de mon anxiété. J’espère que ce voyage auquel je vous convie ici saura me délivrer d’une partie de mon indécision, de mes doutes.

Je ferai appel à la vie réelle et aussi à la fausse vie, l’ombre de la vie que le monde contemporain, ses médias, projette à la surface des murs de la caverne où la plupart d’entre nous sont enfermés. J’irai voir du côté de la littérature, des sciences humaines (histoire et sociologie surtout) et à la philosophie.

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Le monde était-il réel ? Cette ville de Saint-Germain-en-Laye est un hors monde, un monde préservé du monde. Une ville qui n’avait besoin de moi que pour occuper un logement dont personne ne voulait. J’étais bien peu raisonnable de m’y installer. Je me livrais à la gueule du loup. Les moustiques ne se brûlent plus sur les lumières artificielles qui les attirent pourtant toujours. Moi, si. A cause de mon divorce, j’avais tout perdu du luxe dans lequel je vivais grâce à mon mariage. Même mon identité. J’étais allé voir à la Fête de l’Humanité si je ne la retrouvais pas chez les marxistes-léninistes du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), groupuscule qui n’avait rien abandonné de la lutte finale, contrairement au Parti communiste sur le stand ardennais duquel je me rendis incognito. Je reconnus le secrétaire de la fédération que j’avais côtoyé trente ans plus tôt. Je bus deux bières sans dire un mot à personne. Sur le stand du PRCF, j’écoutai, très ému, les témoignages des militants communistes sud-coréens pourchassés dans leur pays. Mais si mon cœur y était mon âme, elle, en revanche… J’avais trop longuement vécu dans les contradictions en ayant conscience d’y être embourbé. Je ne voyais plus que gouffres insondables en moi. J’avais trop erré dans ma vie, ici et là, toujours en quête de qui j’étais, de Paris à Berlin (est) en passant par Reims et Grenoble et plusieurs villes de la banlieue parisienne. En quête d’une dignité, d’une paternité, d’une étincelle sous la cendre de ce monde éteint. En quête d’amour. J’avais laissé un de mes organes à chaque lieu d’où j’étais parti. J’étais en pèlerinage pour me reconstituer et faire en sorte que je ne finisse pas reliques dans le sens où l’entendait ma grand-mère, c’est-à-dire un « ensemble d’objets sans valeur ne méritant pas l’attachement qui leur est accordé » 2. (Les amis et les amours que j’avais abandonnés s’étaient-ils attachés au cœur, à l’esprit, à l’estomac, au membre que j’avais laissé en partant ? Il n’y a qu’ici, dans ces lignes, que je peux espérer me recomposer, me réparer et cicatriser peut-être. Toute autre quête serait vaine. Je suis aussi très proustien : « La grandeur de l’art véritable, (…), c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est simplement notre vie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. » (Marcel Proust, Le Temps retrouvé (1927), p. 895 éd. Pléiade). Oui, mais je ne suis pas assez malade et encore moins assez riche pour ne plus bouger de sous les draps. Il faut croire que je n’ai pas encore assez vécu. Et au fond du gouffre, j’ai cru voir « un brasier qui ne s’éteint pas » et continuant de chanter avec Étienne Daho : « Que vive la flamme, que vive la flamme ! / Pour à nouveau prendre feu et brûler jusqu’au bout ».

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Les commerces fermés. « Les produits de l’industrie sont bien plutôt des preuves de notre imperfection que de notre puissance : pour la simple raison que, dans un pays hautement industrialisé, l’abondance des produits exposés mais impossibles à acheter est tout bonnement écrasante ; la rue commerçante n’y est-elle pas l’exposition permanente de tout ce que l’on ne possède pas ? » Günther Anders, L’Obsolesence de l’homme (p. 43).

Les commerces m’avaient toujours paru fermé, fermé à moi-même. Je n’entre dans un commerce qu’avec beaucoup d’angoisse, même pour acheter un morceau de pain. Il m’arrive toujours de passer vingt fois devant une vitrine avant d’en franchir le seuil. La marchandise n’est qu’un prétexte pour me soutirer de l’argent. Le commerçant expérimenté vous toise, vous jauge et estime ce qu’il peut espérer vous extorquer. Mon attitude ne le trompe pas, il sent mon malaise. Je ne veux pas exagérer la pauvreté dans laquelle j’ai vécu dans mon enfance. Mais je sais ce que c’est que de s’abîmer les pieds dans l’unique paire de chaussures bon marché qui doit vous tenir toute une année scolaire. N’avoir le choix que de la couleur (noire ou blanche) de la parka que vend le magasin où ne vont que les pauvres et d’où vous espérez qu’aucun de vos petits camarades de classe ne vous verra sortir. J’ai vu à l’œuvre le mépris du boucher envers ma grand-mère qui lui demandait de ne pas lui découper un trop gros steak. Je hais les Marchands qui ne sont que les serviteurs des bourgeois comme je hais la part de moi-même qui vend ses services. Je hais ce mensonge qui s’instaure entre le vendeur et l’acheteur, ce jeu de dupes où personne n’est vraiment dupe mais où se joue la pire des comédies humaines, celle dont l’histoire se termine en tragédie, en catastrophe, en apocalypse.

Ainsi, je me suis senti bien en Allemagne de l’Est lors du voyage que j’ai effectué en 1987. Vous le croirez si vous le voulez mais j’y ai vu un monde qui mentait moins ! Les rayons des magasins y étaient plus qu’à moitié vide : voilà quelle avait toujours été la réalité du monde pour moi… quand j’osais jeter un coup d’œil dans les vitrines. Je me suis senti libre là-bas ! Oui, libéré de la marchandise, de son charme répugnant. Pensez-vous vraiment que ceux qui réclamaient un changement de régime le faisait au nom de l’amour pour la liberté ? C’était seulement une infime fraction de la population comme ce fut une infime fraction de la population qui ici s’est soulevée en juillet 2021. J’y ai connu des personnes qui avaient manifesté avant la Chute du Mur dans l’espoir d’être expulsé de la RDA. Ils avaient acquis une solide formation en République démocratique allemande. Ils savaient que leur expérience et leurs compétences d’ingénieur ou de praticiens se monnayeraient très cher à l’ouest. Bien leur en a pris car ils ont pu couler des jours heureux et tranquilles à Grünenwald, le quartier très huppé de Berlin-Ouest.

Je ne leur jette pas la pierre. A Berlin-Est, avant la chute du Mur, le privilège était de pouvoir loger dans un de ces innombrables bâtiments neufs construit à Marzhan-Hellersdorf. Des hectares et des hectares occupés par des immeubles sans âme. Une horreur architecturale où n’aurait pas voulu vivre un habitant de nos quartiers les plus pauvres en France.

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Les rues vides : depuis longtemps l’agora avait déserté les rues. « La politique ne se fait pas dans la rue ! », disait le bourgeois qui avait remplacé l’agora par le centre commercial. Quand la politique, je veux dire par ce terme, la conduite de la cité, déserte les rues, quand elle n’existe que dans l’espace confiné d’un isoloir, elle devient affaire privée, acte solitaire. Ce n’est pas le citoyen qui entre dans l’isoloir, c’est l’individu privé. La démocratie, c’est la rue, c’est la vie publique, c’est la conduite de la vie publique décidée publiquement. La bourgeoisie s’était emparée de la démocratie grâce à son arme ultime : le média. La politique ne se faisait plus dans la rue mais dans les journaux, la radio, télévision, et aujourd’hui internet. Journaux, radios, télévision étaient entre les mains des plus riches, de ceux qui ne descendent pas dans la rue. Le bourgeois avait créé la presse pour nous dire comment était le monde, pour y créer le monde auquel il voulait que l’on crût. Le monde dans lequel il était nécessaire que l’on eût foi pour qu’il pût y asseoir son pouvoir. L’Église avait eu besoin de construire d’immenses cathédrales, des temples partout, des monastères en haut des collines, une débauche de moyens financiers et humains pour prendre le pouvoir. Elle avait eu besoin d’onéreuses Croisades où la fine fleur de la chevalerie allait mourir pour donner sens à sa puissance. Le pouvoir temporel féodal avait lui construit d’immenses bâtisses appelées châteaux souvent fortifiés pour s’imposer. Un monde dur, solide, un monde de pierres que le temps érodait lentement. Un monde où le lendemain ne niait pas hier. Le riche bourgeois, le capitaliste, qui a pris le pouvoir au XIXe siècle en France, lui s’est contenté d’un monde de papier-chiffons, qui naît le matin et meurt le soir dans la cheminée après avoir été froissé. Un monde fait d’apparitions fugaces, quotidiennes, un monde-papillon éphémère. Un monde qui semble toujours recommencé. Un monde qui peut faire ou défaire réputation, gloire, fortune en un mouvement de rotatives, en une salve de tweets.

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« L’état bizarre et monstrueux, prodigieusement artificiel, qui fut celui du Moyen Âge, n’a d’argument en sa faveur que son extrême durée, sa résistance obstinée au retour de la nature. […] Ainsi dure le Moyen Âge, d’autant plus difficile à tuer qu’il est mort depuis longtemps. Pour être tué, il faut vivre. Que de fois il a fini ! […] Et définitivement, le Moyen Âge agonise aux quinzième et seizième siècles, quand l’imprimerie, l’Antiquité, l’Amérique, l’Orient, le vrai système du monde, ces foudroyantes lumières, convergent leurs rayons sur lui. […] » C’est Jules Michelet qui l’écrit en 1855 dans le chapitre « Renaissance » de son Précis de l’histoire de France jusqu’à la Révolution.Voyez « l’imprimerie, l’Antiquité, l’Amérique, l’Orient ». Faut-il ici jouer à trouver l’intrus ? Le monde du XIXe siècle qui voit triompher l’Histoire parce que c’est grâce à l’Histoire qu’à triomphé le bourgeois, l’industriel, le libéral, le capitaliste doit tout à cette invention à caractères mobiles. L’humanisme est une invention du XIXe siècle. Nous nous revendiquons humanistes sur ce site mais rien n’empêche d’en faire son procès. Le terme est créé et surtout popularisé par des intellectuels « progressistes », thuriféraires comme Michelet, de la Révolution française et de celle de l’industrie, et qui vont créer la légende d’un Moyen âge obscur où dominent les superstitions, l’irrationalité. Il est certain que Michelet et d’autres se sont identifiés à ces intellectuels de la Renaissance, d’origine bourgeoise comme eux – Guillaume Budé, prince des humanistes, fut prévôt des marchands de Paris. Sans le livre et peut-être aussi sans les principes pédagogiques humanistes, Michelet ne serait pas Michelet, l’auteur tel qu’il existe au XIXe siècle doit tout à l’imprimerie. Le XIXe siècle qui retourne voir du côté de l’Antiquité où prédomine un anticléricalisme car la religion (catholique) est considérée comme trop corrompue avec l’Ancien Régime, est un siècle qui cousine et même fraternise avec le XVIe siècle. Le siècle de l’industriel libéral tutoie celui du marchand des XVe et XVIe siècle qui allait de Flandre en Italie en passant par le carrefour mosello-rhénan. Là justement où Gutenberg a créé sa presse à caractères mobiles au plomb parce que c’est ici que l’extraction minière et l’industrie métallurgique connaissent un énorme développement, et aussi et peut-être surtout là que l’on produit du papier en quantités importantes. Le papier qui permet des livres plus légers et de formats plus petits, plus faciles à transporter. Strasbourg et toute la région est l’une des places de marché les plus riches d’Europe. Les routes qui permirent au livre de se diffuser et à Érasme de voyager en Europe sont celles qu’ont tracées les marchands de draps flamands ou les marchands de vins d’Alsace. L’humanisme doit son succès historique au développement d’infrastructures qui lui préexistaient. Certes Pétrarque n’a pas eu besoin de Gutenberg pour être Pétrarque. Mais, la philologie se serait-elle développée sans la diffusion des textes et leurs traductions de grande ampleur ?

« Rabelais arrive à Lyon à une date indéterminée, après son séjour à Montpellier en 1530-1531. Il y exerce en tout cas une carrière de correcteur et d’éditeur scientifique à partir du printemps 1532, peu avant d’être nommé médecin au « grand hostel Dieu de Nostre Dame de Pitié du Pont-du-Rhône », le 1er novembre 1532. Le monde de l’imprimerie humaniste est alors en pleine effervescence à Lyon, dans la rue Mercière et les rues avoisinantes. Le marché du livre bénéficie en effet d’une excellente conjoncture : la prospérité commerciale et bancaire de la ville, sa situation géographique privilégiée (entre les cités italiennes et les Pays-Bas, à proximité des contrées germaniques, et au confluent de la Saône et du Rhône), mais aussi ses quatre foires annuelles permettent de constituer une très large clientèle, à la fois française et européenne (Allemagne, Pays-Bas, Espagne surtout). »

Marx disait simplement : « Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel. », dans Misère de la philosophie.

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Le covidisme est accaparement du monde. Recréation du monde.

C’est une intuition que j’ai. Une intuition quand même assez bien documentée par l’histoire et renforcée par mon expérience personnelle qui sont les deux mamelles de… l’intuition. Je pose la conclusion avant la démonstration.

J’ai juste l’intuition qu’à chaque commencement, qu’à chaque fin était le Verbe.

L’être humain s’approprie le monde grâce au langage. C’est le logos qui lui permet de régner sur la terre. Les puissants ont retenu la leçon de Babel : il faut empêcher que les hommes puissent parler une langue commune sauf si elle est au préalable dénaturée, dévitalisée, leur faire croire que les voies de l’Économie sont impénétrables, et les baigner dans l’illusion que le monde est un « grand village global » dont ils sont les seuls, les puissants, à posséder la clé. Une clé numérique, cryptée. Plus le monde exige de chacun un étalage impudique, une transparence totale plus les algorithmes qui mènent le monde se font secrets. Si l’individu ne se résigne pas à parler le langage du Marchand, c’est-à-dire en chiffres plutôt qu’en lettres, il faudra le faire taire ou faire en sorte que son discours soit inaudible à la majorité convertie aux chiffres. Parce que les chiffres, eux, contrairement aux hommes ne mentent pas. « En septembre 2021, au cours de la campagne de vaccination, le ministère des Solidarités et de la Santé a lancé des spots publicitaires à destination des Français avec le mot d’ordre étonnant : « on peut débattre de tout sauf des chiffres ». (Laurent Toubiana, Covid 19 – Une autre vision de l’épidémie: Les vérités d’un épidémiologiste).

« Il n’existe que des systèmes d’écriture particuliers, en étroite symbiose avec les sociétés qui les pratiquent ». (Jean-Jacques Glassner, Écrire à Sumer, L’invention du cunéiforme). Les marchands au pouvoir veulent nous faire croire qu’il existe une « écriture idéale », et l’écriture idéale serait l’invention prétendument des comptables, le calculi, l’ancêtre de l’alphabet. Le Marchand est parvenu à nous faire croire qu’au commencement était le calculi. Notre époque serait l’avènement d’un monde qui s’est perdu dans les turpitudes de l’Histoire, de la Religion ou de la Politique. Nous serions parvenus à l’éternel retour. Enfin de retour à la maison, la maison du Commerce.

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Sans le marchand pas de progrès, le mot progrès colle aux bottes de sept lieux du marchand. Le progressisme, c’est l’idéologie du bourgeois parvenu aux pouvoirs qui cherche à démontrer que l’Histoire n’est qu’une grande pièce de théâtre où il a fallut qu’il joue longuement en coulisses avant de pouvoir monter sur scène. Il cherchera dans le passé l’embryon de lui-même qui attendait son heure, l’heure présente, pour parvenir à maturité, c’est-à-dire à la perfection qu’il est lui-même. Mais le bourgeois qui représente la victoire de l’Histoire sait pertinemment que celle qui l’a fait peut le défaire. Le progressisme est un jeu qu’on joue contre soi-même. Il est impossible de dépasser la perfection. C’est ainsi que l’humanisme procrée le transhumanisme. Car il n’y a que l’imperfection qui permet de dépasser la perfection. Le bourgeois est la première victime de cette honte prométhéenne dont parle Günther Anders. Le bourgeois est la première victime de lui-même.

« There is no alternative », disait Margareth Thatcher. Mais, s’il n’y a rien d’autre de possible alors que le show must go on, alors que le spectacle doit continuer car le progrès demeure et reste ce qu’il est, quel est cet autre qui doit advenir par la force des choses et qui n’est pas un autre ?

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Et dire qu’il font tout cela pour des lignes de compte, de la pacotille, des couvre-chefs ridicules. Le bourgeois est bien pire qu’un sauvage ébloui par la verroterie.

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Pour terminer et surtout commencer, nous nous arrêterons sur la thèse numéro 8 de La Société du spectacle de Guy Debord, sur son renversement.

« On ne peut opposer abstraitement le spectacle et l’activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le spectacle qui inverse le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du spectacle, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire en lui donnant une adhésion positive. La réalité objective est présente des deux côtés. Chaque notion ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. Cette aliénation réciproque est l’essence et le soutien de la société existante. »

Nous en extrairons la phrase : « la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. » pour la renverser en « Le spectacle surgit dans la réalité, et le réel est spectacle ». Car c’est ainsi que commence le covidisme dans sa version mars 2020, dans l’inversion du monde qu’il avait construit jusque-là depuis 1470. Nous l’expliquerons et le démontrerons la prochaine fois.


1 Source : https://inegalites.fr/Les-villes-ou-vivent-les-riches-les-plus-riches

2 Source : https://www.cnrtl.fr/lexicographie/reliques

3 LE MONDE DE L’ÉDITION HUMANISTE ET LA NAISSANCE DE PANTAGRUEL (CH. XXX)
Nicolas Le Cadet, Association d’études sur la Renaissance, l’Humanisme et la Réforme | « Réforme, Humanisme, Renaissance », 2016/1 N° 82-83 | pages 25 à 44

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