Enfin la révélation ?

Je regarde sur Youtube, avec amusement et même espoir, les Italiens confinés se parler de balcon à balcon, lancer des chansons qu'ils reprennent en chœur, un verre à la main. La fin du monde n'est plus ce qu'elle était.

D’un confinement l’autre

Dix ans plus tôt, nul doute que celui qui était alors propriétaire d’un pavillon en banlieue, qui voyait le chiffre d’affaires de son entreprise individuelle ne cesser de progresser, qui goûtait au rassurant ennui des dimanches en famille, nul doute qu’à demi confit dans son pseudo-bonheur de petit bourgeois, celui-là n’aurait pas réagi comme cet autre que la pseudo-pandémie rencontra en février 2020. Il avait ce dernier, j’avais alors presque tout perdu. J’avais tout perdu parce que je ne possédais rien. Je n’étais qu’à demi-confit parce que je savais que rien ne m’avait été donné. Et parce que j’avais fait « un beau mariage », je fis un très vilain divorce.
Celui que la pseudo-pandémie rencontra était un homme « éparpillé façon puzzle » en quête d’une (nouvelle ?) identité. Le confinement accueillit un être qui sortait d’un confinement de presque vingt ans et dans lequel j’avais tenu en respect le critique radical, celui qui croyait que l’Enfer était ici-bas et qui voulait se battre contre le Diable. Pour s’intégrer (se désintégrer) à ce monde, il s’était assis à la table de ce même Diable et y avait mangé pendant vingt ans. Le Salut par la Damnation ! Oui, le monde marchait sur la tête.
J’étais de retour d’exil, je vomissais la soupe cuite et recuite du démon. Je ne pouvais plus avaler une goutte de ce brouet frelaté. J’étais redevenu « nareux » comme on dit dans les Ardennes pour « une personne qui se montre difficile quant à la propreté de la nourriture et des couverts ; qui éprouve facilement du dégoût. » (Le Robert). Je ne pouvais plus rien avaler des mets que me servait le monde.

La fin du monde n’est plus ce qu’elle était

O. me donne des nouvelles désastreuses de l’Italie : des villages entiers sont touchés par le Covid. Des vieux, très vieux meurent par grappes. Je ne sais pas d’où il tient l’information : il ne vit pas là-bas, il ne parle pas italien. O. a peur, il n’a pas peur pour lui mais pour sa mère malade. Je reste stoïque, j’essaie vainement de prendre tout ça au sérieux.

Je regarde sur Youtube, avec amusement et même espoir, les Italiens confinés se parler de balcon à balcon, lancer des chansons qu’ils reprennent en chœur, un verre à la main. La fin du monde n’est plus ce qu’elle était.

Ensuite, la chronologie des événements m’échappe. Je ne regarde plus aucune information à la télévision depuis presque toujours, depuis que j’ai quitté le nid familial. De là provient peut-être la confusion dans ma mémoire ? Au cours des trente dernières années, j’ai tenté l’aventure à cinq ou six reprises pour savoir ce que l’on faisait avaler au quidam à 20 h. La dernière fois, en 2018, je tombai sur un reportage pendant le journal de France 2 dépeignant Vladimir Poutine en chasseur de tigre sanguinaire, digne des dictateurs africains qu’aimait accompagner Giscard dans leur safari. Le même reportage que j’avais vu des années plus tôt ! Oui, le même. La peur du Russe, mélange de Huns et d’Ivan le Terrible, est devenu ce qu’on appelle un « marronnier » dans le journalisme. Je fis une petite recherche sur internet et je découvris le reportage original qui provenait de la télévision russe : Poutine avait tiré une seringue hypodermique sur un tigre vivant dans une réserve naturelle de Sibérie, où son espèce était protégé, afin qu’il puisse être étudié par les zoologistes. Qui devais-je croire ? Des deux côtés, de la propagande, bien entendu. La télévision français mise au pied du mur due reconnaître son « erreur ». Ce qu’elle ne reconnut pas, c’est qu’elle fit la même « erreur » quelques années plut tôt en diffusant le même petit reportage en 2013 avec un commentaire biaisé ! (Pour découvrir toute l’affaire : https://www.upr.fr/france/la-television-publique-francaise-prise-en-flagrant-delit-de-fake-news-anti-poutine-les-questions-posees-par-ce-scandale/).
Comment après cela croire un mot, un seul mot sortant de ces bouches faisandées ? Peut-on imaginer que la propagande, donc le mensonge, est seulement destiné à nous effrayer avec l’ogre russe ?
Le Covid qui sut empêcher la grippe de sévir, qui avait le bon ton de ne pas s’infiltrer dans les rames de métro, qui (haine de classe ?) ne semblait pas aimer les ouvriers, les caissières et les magasiniers ou encore les chauffeurs-livreurs évinça l’épouvantail slave pendant quelque temps. Une peur chasse l’autre : telle est la façon de gouverner des pitoyables crétins à qui nous offrons notre souveraineté. La peur du Russe est une constante depuis des siècles. A ce sujet, je vous conseille la lecture de Russie-Occident, une guerre de Mille ans de Guy Mettan (Éditions des Syrtes, 2015).

Tout était déjà écrit

Je relisais La Société du spectacle de Guy Debord et La Société intégrale de Cédric Lagandré, entre autres œuvres. Toute la mise en scène du Covid s’y trouvait expliquée. Très vite, dans les premiers jours du confinement, je compris que tout cela n’était qu’une super-production diffusée en mondiovision financée par le Capital (comme toute superproduction).
« L’histoire ne sert à rien, ou plutôt ne sert qu’au pouvoir, si elle ne se donne pas pour tâche de relativiser le présent, d’en démasquer la contingence, là où le discours autorisé s’efforce de le rendre nécessaire. Sans recul historique, la fatalité du présent décourage l’action humaine. La fatalité n’entre pas dans le champ proprement politique des choses sur lesquelles on a prise et dont on délibère. Aussi le savoir historique est-il immédiatement politique : l’histoire, entendue comme récit, sert à faire valoir le caractère historique du présent, c’est-à-dire son appartenance à l’histoire entendue comme processus. En montrant que le présent n’est pas tombé du ciel, mais qu’il est au contraire devenu, qu’il a surgi d’une multiplicité de causes, on le fait entrer dans le champ politique de la parole et de l’action, c’est-à-dire de la liberté humaine. » (Cédric Lagandré). Je pensais que l’Histoire était notre seule arme, ma seule arme.

La thèse 8 de La Société du spectacle me décrivait à quel moment de l’Histoire nous nous trouvions.
« On ne peut opposer abstraitement le spectacle et l’activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le spectacle qui inverse le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du spectacle, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire en lui donnant une adhésion positive. La réalité objective est présente des deux côtés. Chaque notion ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. Cette aliénation réciproque est l’essence et le soutien de la société existante. »
Le confinement a été nécessaire afin que tout ce qui était éloigné dans une représentation soit directement vécu. Il fallait faire en sorte que le spectacle surgisse dans la réalité et que le réel soit spectacle. Le confinement retourne la thèse de Debord sans la nier. Le confinement est le stade suprême du Spectacle. (Lire : Variations sur le nécessaire et suffisant confinement. 2 – Le confinement, stade suprême de la Société du Spectacle)

Le Pouvoir illégitime ne tient que par la violence. Il n’y a que des Pouvoirs illégitimes. La peur est une forme de violence. Quand elle ne suffit pas, le pouvoir passe à une violence supérieure : on tape au porte-monnaie ou sur la tête du récalcitrant. Après la classe laborieuse, la petite et moyenne bourgeoisie allait faire l’expérience de la réalité du Pouvoir. Chacun son tour. Un esprit de revanche, une vengeance envers ceux qui méprisaient ma pensée et surtout ceux de ma classe ? Oui !

Instiller la peur

Instiller la peur. Dans les premiers temps, le scénario ne semblait pas bien maîtrisé. Les acteurs du pouvoir qui faisaient tout sauf agir appelaient au calme. Il s’agissait pour le pseudo-pouvoir d’avoir l’air d’être pris au dépourvu, de perdre la face… derrière un masque. La bêtise feinte, démagogique de Sibeth Ndiaye en mars 2020 : « Hé bien, vous savez quoi ? Je ne sais pas utiliser un masque. » – me rassura un peu : ces chargés de pouvoir du Capital ne maîtrisaient rien, ils étaient pris au dépourvu par leurs propres donneurs d’ordre qui avaient oublié de donner la partition à jouer à tous leurs sous-fifres.

Instiller la peur. Si cette peur n’avait pas foudroyé N., nul doute que la période de confinement eût été pour moi l’une des plus heureuses de ma vie. Je proposai à N. de passer cette période sous le même toit. Que je pusse faire une telle proposition la révolta : voulais-je tuer son fils ? Je lui dis que plus on était âgé, plus on risquait de mourir du Covid (on savait déjà que la moyenne d’âge des morts tournaient autour des 80 ans), et que la probabilité que son fils en mourut était proche du zéro mais que la mienne ne l’était pas. On ne peut pas raisonner avec l’irrationnel. Je me contentai alors d’ironiser sur ma stature de héros qui ne craignait pas la mort en allant faire des courses pour N. et son fils. L’ironie pour étouffer ma douleur de voir N. dans cet état, mon incapacité à la rassurer, de la réconforter, de devoir déposer les sacs de provisions à plus d’un mètre devant sa porte. Ma douleur de voir N. entrebâiller à peine cette porte, masquée jusque sous les yeux dans lesquels je pouvais lire sa terreur.
La terreur qui faisait vivre l’État, la pourriture de l’État infestait les yeux de N.

Dégoût, dégoût, dégoût. Oui ! Que tout s’effondre !

Instiller la peur. Tous les soirs à la même heure, j’entendais résonner sirènes de pompier et de police. Un soir, je sortis muni de mon autorisation (cela va de soi !) et cherchai la provenance du vacarme. Je découvris des voitures de la police municipale et un véhicule des pompiers rassemblés devant le château de Saint-Germain-en-Laye, gyrophares et sirènes en action. Une banderole était déployée qui clamait son soutien à Olivier. J’appris par un policier municipal que cet Olivier était un pompier volontaire atteint gravement du Covid-19 depuis le 11 mars. Il en mourut le 11 avril 2020.

Et la musique comme salut.

Au téléphone avec mon fils, je feignais l’indignation d’apprendre que mon ex-femme l’avait abandonné pour aller se confiner dans sa résidence secondaire de Bretagne. J’étais envieux : c’est là où je me trouverais si on ne m’avait pas répudié, là où je m’étais senti à nouveau chez moi après dix ans de vagabondage, là où j’avais pressenti que le bonheur existait. Mon fil, lui, était très heureux de se retrouver seul chez lui. Défiant les mesures imbéciles du Pouvoir, il se rendait à Paris en taxi pour rejoindre son amoureuse de l’époque, amoureuse qui vint aussi passer quelques jours chez lui, en banlieue.

L’Apocalypse : la réalité allait-elle être enfin révélée au monde ? Je ne crois pas que je me posais la question à ce moment-là. J’étais moins angoissé quand je sortais car le monde extérieur ressemblait maintenant à ce qu’il avait toujours été pour moi : des magasins fermés, des rues vides. La petite bourgeoisie cloîtrée dans son insignifiance, dans sa peur irrationnelle n’osait plus mépriser le prolétariat ; elle l’applaudissait à 20 h car le confinement lui donnait la preuve qu’elle n’appartenait pas à cette classe. Le Pouvoir faisait tout pour la protéger. N’est-ce pas ?

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