L’américanisme au risque de la psychologie

Il est toujours surprenant de constater que de très vieux schémas mentaux peuvent imprégner un peuple et conditionner ses choix actuels. Pour les États-Unis, on peut remonter à ses fondateurs, les protestants puritains, les Pères Pèlerins qui, arrivés sur ces nouveaux rivages, décalquaient le schéma sioniste à leur avantage : nous sommes le Peuple Élu, ceci est notre terre promise, et tout amérindien rencontré sur place ne peut être qu'un imposteur, quel que soit le long séjour de ses ancêtres sur leur territoire.

L’absence totale de culpabilité et la certitude d’avoir toujours raison

Vue de l’extérieur, la mentalité géopolitique américaine peut être difficile à comprendre. Pour l’expliquer, nous pourrions remonter au système des structures familiales d’Emmanuel Todd, décrivant une famille américaine de type nucléaire absolue, favorisant des attitudes compétitives et expansionnistes. Nous pourrions aussi retracer la guerre comme constante historique des États-Unis, pays qui n’a connu que quatre années de paix recensées dans toute son histoire !

Notre ambition sera ici plus modeste et plus brève, elle se concentre sur la psychologie particulière de ce peuple. Elle était déjà présente avec les premières grandes vagues d’immigrants issus principalement des îles britanniques. Puis sur le nouveau continent, elle a pu se développer et donner libre cours à son hubris, sa démesure débordante de ses frontières, jusqu’à aujourd’hui.

Philippe Grasset du site dedefensa.org, observateur de longue date de la société étasunienne, s’est attelé à cette tâche à de nombreuses reprises. En résumé, selon lui, voici ce qu’il en est.

Deux traits maniaco-dépressifs relèvent de l’imaginaire propre à l’américanisme, aujourd’hui exacerbés jusqu’à la folie : l’inculpabilité, soit l’absence totale de culpabilité, quel que soit le méfait commis ; l’indéfectibilité (sans défaut), soit la certitude d’avoir toujours raison et que toute contradiction sur ce point est sans objet.

En période de puissance, le résultat habituel d’une telle aberration c’est, par exemple, la destruction d’un pays pour le protéger de lui-même. En toute bonne conscience, bien sûr. Que ce soit détruire un village sud-vietnamien pour le protéger du communisme où détruire l’Irak pour le guérir de ses démons antidémocratiques*.

En période de déclin, on mesure le décalage qui peut s’opérer dans les esprits des décideurs américains lorsqu’ils prennent les décisions sur cette base et que les faits les ramènent brutalement à la réalité. Pensons par exemple à Biden affirmant que les talibans avaient définitivement perdu la guerre, une semaine seulement avant la prise de Kaboul qui scella leur victoire.

Il est toujours surprenant de constater que de très vieux schémas mentaux peuvent imprégner un peuple et conditionner ses choix actuels. Pour les États-Unis, on peut remonter à ses fondateurs, les protestants puritains, les Pères Pèlerins qui, arrivés sur ces nouveaux rivages, décalquaient le schéma sioniste à leur avantage : nous sommes le Peuple Élu, ceci est notre terre promise, et tout amérindien rencontré sur place ne peut être qu’un imposteur, quel que soit le long séjour de ses ancêtres sur leur territoire.

Tout naturellement, sur ce terreau, se sont développés ensuite deux postulats qui ont cristallisé l’idéologie américaniste. La Doctrine Monroe (1823), justifiant l’impérialisme américain sur tout le continent américain, pré-carré états-unien et la Destinée manifeste (1845), la version américaine de l’idéologie calviniste selon laquelle la nation américaine aurait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » vers l’Ouest, puis ensuite dans le monde entier. Le dernier avatar de la Destinée manifeste fut au milieu du XXe siècle l’Exceptionnalisme américain.

Comment ce cadre mental hors-sol, détaché de toute réalité, réagira au fur et à mesure de cette inexorable fin d’empire qui s’opère ? L’avenir nous le dira. Serons-nous les témoins de déchirants aveux d’impuissance ? Ou le déni de réalité se poursuivra-t-il dans les méandres d’une inexpiable folie collective ?


* Voir l’interview de Madeleine Albright du 12 mai 1996 au magazine de CBS News 60 Minutes. Question à propos des conséquences des sanctions contre l’Irak : « Nous avons entendu dire qu’un demi-million d’enfants sont morts. C’est plus d’enfants morts qu’à Hiroshima. Cela en valait-il ce prix ? ». En réponse Madeleine Albright affirme : « Je pense que c’est un choix très dur, mais le prix — nous pensons que cela en valait le prix ».

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