Philippe Fabry, Le président absolu – la Ve République contre la démocratie
Scripta manent, 2022
Dans Le président absolu, l’historien et avocat Philippe Fabry examine de façon claire et pédagogique la nature du régime actuel en France. Il dissipe d’emblée l’illusion : pour lui, il ne fait pas de doute que « notre » Ve République ne peut se targuer d’être une démocratie. Il le prouve en montrant qu’elle s’écarte des critères d’appartenance à cette famille, que sont la distinction nette des fonctions de chef de l’Etat et de chef du gouvernement et une réelle séparation des pouvoirs, avec un Parlement en mesure de jouer son rôle. L’élection du président au suffrage direct (conforté par la pratique mitterrandienne puis par le quinquennat) a consacré l’évolution de la Ve vers un régime de type plébiscitaire et autoritaire (ou « despotisme électif »), plus proche en cela de celui de pays comme la Russie ou l’Egypte que de celui de nos voisins européens.
En somme, la donne et la culture politiques françaises contemporaines, forgées par la pratique des institutions depuis 1958, peuvent se résumer de la manière suivante : un président quasi tout-puissant et irresponsable (dans tous les sens) dont le gouvernement procède, un Parlement « ectoplasmique » infériorisé, des corps intermédiaires inféodés et/ou impuissants, des médias complaisants, des médiations ou des régulations (motion de censure, destitution, référendum d’initiative partagé) impossibles. Et, on pourrait ou on devrait commencer par ce point, un peuple (démos) privé de son pouvoir (kratos), de modes d’expression et donc de vie démocratique (inutile de revenir sur le sort réservé au rejet du projet de constitution européenne en 2005 par exemple…). Première conséquence logique : le « verrouillage institutionnel » et le blocage, comme on l’a vu ad nauseam cet été… Seconde conséquence : le recours aux manifestations, à la rue, pour tenter – en vain – de faire entendre sa voix (là encore dans tous les sens du terme). Cela donne les Gilets jaunes, la répression brutale, la contestation de la dictature sanitaire, le mouvement contre les retraites, la fronde paysanne, et toujours la répression brutale, etc.
Fabry parle in fine de « nouvel ancien régime », mais notons que ce dernier se trouve doté de moyens sans commune mesure avec naguère (budget, médias de masse, coercition physique et immorale dite ingénierie sociale), qui amènent à se demander si le paysan limousin du XVIIe siècle ne jouissait pas d’un espace de liberté et d’autonomie (certes circonscrit territorialement) plus grand que le « citoyen » de 2024. L’auteur évoque aussi Macron comme le produit et la « quintessence » de ce système, non point donc comme sa cause mais son expression chimiquement pure…
Alors, que faire ? comme disait l’autre. Fabry esquisse une issue à travers « un coup d’Etat parlementaire », amenant une réforme constitutionnelle qui restaurerait un équilibre des pouvoirs. Avec honnêteté, l’auteur indique ne guère croire à cette option, et l’écarte de plus en plus résolument dans ses dernières interventions sur sa chaîne Youtube (https://www.youtube.com/@PhilippeFabry). Cela le conduit donc à envisager une crise révolutionnaire violente, seule à même de mettre à bas le régime autoritaire. Enfermé dans son objet (les institutions dysfonctionnelles de la Ve République) et contraint par le format réduit de son essai, il ne dit rien en revanche des projets de « VIe République ».
De même, il me semble qu’absoudre les régimes voisins de toute dérive autoritaire comme il le fait, au motif que leurs institutions ne présentent pas les mêmes tares que les nôtres, n’est guère conforme aux observations que l’on peut faire. Toutes ces belles « démocraties occidentales », de l’Italie à la Belgique, du Royaume-Uni à l’Allemagne, de « vraies démocraties » à ses yeux, n’ont pas été avares de mesures liberticides lors de la crise du covid ou à l’encontre de bien des opinions dissidentes. Actuellement, la répression des mouvements pro-palestiniens ne faiblit pas en Allemagne, et le Royaume-Uni vient de se montrer intraitable avec les « émeutiers » (et de simples internautes) réclamant des comptes sur la politique migratoire, et la liberté d’expression est partout sous tutelle. Quant à l’UE, Leyen et sa grosse commission, der Kommissar Breton et son DSA*, et toute cette clique non élue, il n’est même pas besoin de s’y étendre…
Le président absolu est donc une analyse historique originale et une critique sévère des institutions de la Ve, dont la thèse centrale trouve à l’heure actuelle une confirmation éclatante.
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