Tant qu’il y aura des arbres, il y aura des hommes

Cet article s’appuie en grande partie sur le livre de Sabah Rahmani, Paroles des peuples racines, paru chez Actes Sud en 2019 (préface de Pierre Rabhi). Dans cet ouvrage, une vingtaine de représentants de peuples dits premiers ou indigènes s’expriment. Ces gardiens de la nature et des savoirs ancestraux présentent avec fierté leur culture et leurs traditions, mais aussi - avec une douleur contenue - leur difficile confrontation avec la modernité. Ces femmes et ces hommes en appellent à une réconciliation avec la nature autour d’une idée-force (nous tous, humains, avons « la Terre en partage ») et de valeurs comme l’amour, la joie et la compréhension mutuelle.

L’importance des arbres dans la vie des peuples premiers

Nous ne ferons qu’effleurer la richesse de ce sujet compte tenu des multiples usages et représentations des arbres pour les peuples premiers, ceux-ci étant eux-mêmes très divers (environnement, culture, etc.).

Un certain nombre de traits communs ressortent à travers ces paroles de sagesse. L’arbre et la forêt, partie intégrante de l’environnement des peuples premiers, sont à ce titre respectés et révérés comme les autres composantes de la nature (il serait plus pertinent de parler de « Terre mère ») : eau (sources, rivières), terre nourricière, faune, sans oublier le cosmos, etc. Un monde de sens et d’esprits, qui repose sur l’équilibre, l’échange (soin, don) et la réciprocité. On prélève, selon des formes plus ou moins ritualisées (offrandes, prières), le bois ou le gibier par exemple, on ne l’exploite pas. Le bois de l’arbre ne constitue pas une matière inerte car ce dernier est considéré comme un être vivant (casser une branche, c’est comme casser un bras à une personne dit l’un des témoins).

Nous présenterons la relation particulière aux arbres de trois peuples qui m’ont paru emblématiques, mais bien d’autres auraient mérité d’être évoqués, tant leur message est édifiant. Manière de recommander chaudement la lecture de ce beau petit livre !

Chez les Mapuches en Amérique du Sud

Commençons par les Mapuches, qui sont environ deux millions et sont implantés au Chili et secondairement en Argentine. Leur nom vient de mapun (Terre) et che (gens ou êtres) et signifie donc gens (ou êtres) de la Terre. Le machi (chaman, sage) Jorge Quilaqueo indique que, « dans le monde mapuche, l’essentiel est d’apprendre à être Terre et à être Soi » pour devenir une Personne (au terme de ces deux étapes), c’est-à-dire « un véritable être humain », honorable, respectable. Toute personne n’est donc pas une Personne. Le Mapuche est à l’écoute de la nature, source de « belles pensées », et du cosmos. Le concept d’équilibre ou d’harmonie du monde est fondamental, notamment dans la perspective du legs aux générations à venir (la vie sur la Terre étant vue comme un cheminement provisoire).

Les Mapuches développent une connexion très profonde avec les arbres. Les grands-parents sont par exemple représentés par des arbres totémiques. Ces derniers opèrent le lien avec les ancêtres mais aussi avec la nature dans son ensemble. Il existe même une forme d’identité entre le Mapuche et l’arbre. Ainsi, lorsque qu’un machi meurt, il est dit qu’il se transforme en chemamull, qu’il devient un homme-arbre. Un arbre sculpté est planté sur son lieu de sépulture pour que son esprit s’y unisse.

L’araucaria (araucaria araucana), également appelé « pehuén », est l’arbre emblématique des Mapuches. Ce conifère qui pousse dans les montagnes de Patagonie peut mesurer jusqu’à cinquante mètres de hauteur et vivre plus de mille ans. Il a donné son nom à l’une des tribus mapuches, les Pehuenches (qui utilisaient ses graines, proches des pignons de pin, pour produire du pain ainsi qu’une boisson fermentée).

Chez les Hulis en Papouasie-Nouvelle-Guinée

La tribu des Hulis vit quant à elle en Papouasie-Nouvelle-Guinée, une réserve de biodiversité hors du commun (et hélas menacée, cela va sans dire…). Le chef papou Mundiya Kepanga explique qu’il existe deux types de forêts. La forêt secondaire est utilisée pour construire les maisons, fabriquer les outils. Elle est indispensable dans le mode de vie traditionnel des Hulis. La forêt primaire constitue pour sa part un espace sacré délimité par les ancêtres de chaque tribu. Les arbres y sont considérés comme les frères des hommes, comme des membres de la famille, de la tribu ! L’une des traditions du peuple huli consiste, à chaque naissance, à enterrer le placenta et à planter un arbre à cet endroit. L’éducation de l’enfant est comparable à la croissance de l’arbre, et l’enfant sera ensuite chargé de veiller sur celui-ci. Le chef Kepanga parle à propos de ces arbres de « référents », de « repères généalogiques et historiques », qu’il est donc hors de question de couper, car « tant qu’il y aura des arbres, il y aura des hommes ».

Chez les Tolinou en Afrique

Le représentant des Tolinou (Bénin, Nigéria, Togo), Appolinaire Oussou Lio, a des propos très touchants sur l’importance de l’arbre, « être vivant qui fait partie de l’homme », « source de vie ». Il évoque lui aussi le caractère sacré des forêts dans la culture traditionnelle de ce peuple attaché par ailleurs au vaudou, « pratique ancestrale de connexion au divin » basée sur les quatre éléments, en recul à cause de la déforestation et de l’acculturation.

Au Bénin, l’Etat prétend sauvegarder les forêts sacrées en les intégrant dans des aires protégées. Le texte de 2012 en donne la définition suivante : « tout espace forestier servant d’habitude d’habitat à une multitude de divinités vénérées par les populations locales (…) » (on notera que le critère distinctif réside dans la spiritualité), avant de préciser : « la forêt sacrée est gérée de manière communautaire et durable pour le maintien de ses fonctions écologique, socioculturelle, culturelle et récréative ». Le principe est louable, mais, dans la pratique, environ 200 forêts sont toujours menacées.

Appolinaire se bat pour leur sauvegarde avec son association « Grabe-Bénin », qui mise tout particulièrement sur la sensibilisation des jeunes à ce patrimoine (à la fois naturel et ancestral) et sur la transmission intergénérationnelle. On relèvera ainsi le joli nom d’un programme de l’association, « Graines futures ».

Au fil des témoignages, on constate à quel point le contact avec la civilisation occidentale s’est avéré extrêmement brutal et très souvent catastrophique pour les peuples premiers (on disait auparavant primitifs), qui ont été spoliés, déplacés, acculturés. Leurs espaces et leurs modes de vie comme leur relation au vivant ont été profondément bouleversés, et pour ainsi dire violés : destruction de forêts primaires, abattage d’arbres vénérés, déstabilisation des savoirs et de la transmission (par exemple de la médecine traditionnelle), etc. C’est un autre mérite du livre de Sabah Rahmani de dénoncer ce processus (toujours en cours) et de mettre en valeur les actions de représentants de ces « peuples racines » pour préserver ces pans du patrimoine du genre humain.

Paroles des peuples racines
Plaidoyer pour la Terre

Sabah RAHMANI
Pierre RABHI, Préfacier
Marc DOZIER, Photographe

Et si penser le monde de demain puisait ses sources dans les racines de l’humanité ? Non comme un retour nostalgique à des origines lointaines, mais comme une source d’inspiration pour insuffler de nouveaux modèles de société, plus respectueux de la nature et des hommes. Depuis des millénaires, les peuples racines offrent une place prépondérante au vivant, en recherche constante de l’harmonie sociale et écologique.
Les mouvements indigènes fleurissent depuis une vingtaine d’années, mobilisés aux côtés d’associations, de scientifiques, de citoyens, de personnalités et de quelques politiques, pour faire reconnaître leurs droits, leurs cultures, leurs savoirs ancestraux et leur sagesse.
Quel est le rôle de ce combat pour la Terre ? Gardiens de connaissances millénaires en matière d’écologie et de sciences traditionnelles, leur sort est étroitement lié à celui de l’humanité.
À partir de récits inédits recueillis auprès de dix-neuf représentants de peuples racines venus de tous les continents, ce livre réunit leurs voix. Ils sont Papou, Massaï, Maori, Pygmée, Peul, Touareg, Sami, Kanak, Kayapó, Kogi, Mapuche… ils témoignent tous d’une sagesse et d’une volonté d’agir en faveur de la nature et des cultures.

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