« Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » Guy Debord (Thèse 1, La Société du spectacle).
Le confinement est le clou de la société du spectacle. C’est-à-dire son apothéose et le scellé que l’on appose sur son cercueil (cri d’espoir !).
Je conseille au lecteur qui ne serait pas familier avec la pensée de Debord d’écouter la vidéo qui suit.
Le confinement est la forme zombie du spectacle. Dans Dawn of the dead (Zombies) de Georges Romero, film de 1978, les morts-vivants reviennent et leurs pas d’automates les mènent vers les centres commerciaux. Pendant le confinement la seule voie réelle possible était celle du magasin d’alimentation, l’autre voie était numérique celle du réseau internet où nous ne cheminons qu’en tant qu’ectoplasme créé par la virtualité, de sites marchands en réseaux asociaux. Internet est notre purgatoire quand celui du centre commercial n’est pas disponible. Ou bien est-il notre enfer ? Les zombies ne sont que mâchoires, ils dévorent les vivants. Ils peuvent cependant « vivre » sans manger, se nourrir ; consommer est juste un réflexe. Le confinement est une expérience qui vise à nous réduire à nos instincts primaires. Quand je dis nous, je parle des employés du tertiaire. Le Capital nous dit : nous n’avons besoin de vous qu’en tant que consommateurs, qu’en tant que zombies. Des zombies dont on ne peut que craindre les comportements irrationnels dans l’irrationalité du monde que le Capital a bâti. Nous ne sommes que les fantômes de nous-mêmes. Nous sentions bien, sans nous l’avouer vraiment, notre inutilité en tant que producteurs car nous ne produisons rien. Notre seule utilité est de faire du crédit pour surconsommer la surproduction dont le Capital extorque la plus-value au prolétariat. Nous consommons le monde comme le font les élites, mais eux, à plus grande échelle, pendant que le prolétariat le produit. Confinés, nous ne produisons rien mais nous devons garder notre puissance de consommation. Le prolétariat des champs, des usines, des entrepôts, celui des transports, des commerces (essentiels), du soin et de l’assistance demeure mobilisé. Et aussi toute la flicaille de la Société du Spectacle (la SS) qui hante les plateaux de télévision et les rues. Tous les gestionnaires et administrateurs du spectacle : les politiciens, les journalistes, les experts-scientifiques-penseurs médiatiques, les artistes audiovisuels qui hantent les plateau de télévision, zombies doués de parole programmée par les maîtres du Spectacle. Tous chargés de mission et fondés de pouvoir de Bill Gates, d’Amazon, de Pfizer et des fonds d’investissement comme Blackrock. Gendarmerie et police officielles dans les rues, et délateurs à leurs fenêtre, flicaille improvisée.
Quand tout devient spectacle, plus rien n’est spectacle. Le réel devient spectacle et le spectacle devient réel.
« On ne peut opposer abstraitement le spectacle et l’activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé. Le spectacle qui inverse le réel est effectivement produit. En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du spectacle, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire en lui donnant une adhésion positive. La réalité objective est présente des deux côtés. Chaque notion ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel. Cette aliénation réciproque est l’essence et le soutien de la société existante. » (Thèse 8, SS). C’est moi qui souligne.
Le confinement a été nécessaire afin que tout ce qui était éloigné dans une représentation soit directement vécu. Il fallait faire en sorte que le spectacle surgisse dans la réalité et que le réel soit spectacle. Le confinement retourne la thèse de Debord sans la nier. Le confinement est le stade suprême du Spectacle.
La rue presque déserte, quelques rares passants masqués qui marchent d’un pas rapide, apeurés par votre présence à tel point qu’ils n’osent lever un regard vers vous. Les seules sirènes des pompiers et des ambulances comme ambiance sonore. Les animaux sauvages qui sortent de la forêt et s’aventurent dans le parc fermé – j’ai le privilège de vivre alors à Saint-Germain-en-Laye, ville royale, ville-musée, ville où les plus hauts revenus se concentrent. Les infirmières qu’on ne voit pas sauf quand on est à l’article de la mort et qu’on applaudit à 20 heures. On applaudit comme au spectacle ! Oublié les minutes de silence, le silence angoisse, le silence est l’ennemi du spectacle, sa simple et pure négation. Le silence est la mise à mort du spectacle. Que le réel soit spectacle, quel que soit le réel ! C’est notre morituri te salutan, (ceux qui vont mourir te salue), un morituri inversé. Ceux qui te regardent aller à la mort te saluent. Et ils applaudissent de leurs balcons, de leurs fenêtres en direction des rues vides à vingt heures. Ceux qui vivent dans le non-agir se libèrent de leur lâcheté en tapant dans leurs mains. Ils se rachètent une conscience et même une vertu en ne manquant pas ce rendez-vous. C’est tout ce qui leur reste de dignité. Ces bravos sont indispensables au spectacle organisé par le Pouvoir, il confirme que le spectacle est bien dans la rue. Il faut taper dans ses mains pour que résonnent la réalité du spectacle, pour participer à son édification en réalité. L’applaudissement génère le spectacle qui génère des applaudissements. Le confinement se génère lui-même, c’est une prophétie autoréalisatrice. Le confinement crée les conditions qui le rendent nécessaires.
L’assignation à résidence (le confinement) c’est le moment où spectacle et réalité s’envahissent l’un l’autre à tel point que les frontières s’effacent. Dans ce cadre, la réalité sociale, prise dans le « spectacle », ne fait plus que reproduire les structures spectaculaires. En retour, le spectacle s’objective dans le monde réel, devenant indiscernable de l’expérience vécue. Cette double aliénation crée un monde où la « réalité » elle-même semble dépendante des images, des discours et des médiations qui la construisent.
L’assignation à résidence, imposée durant le Covid, est à la fois le dépassement de la thèse de Debord et sa confirmation. Le confinement réduit l’activité sociale à sa forme la plus contrôlée, en s’appuyant sur une saturation médiatique et spectaculaire de la crise. Ici, le « spectacle » du Covid envahit l’ensemble de la réalité vécue.
Dans ce dépassement de la thèse 8, le « covdisme » met en scène une réalité à travers le confinement, poussant l’individu à l’adhésion au spectacle d’une crise sans fin, où l’illusion d’une expérience partagée remplace l’expérience elle-même. La réalité physique des individus est effectivement enfermée dans un espace privé, sans possibilité d’interaction directe avec le « monde extérieur », contraignant la population à intégrer le « spectacle » comme seule interface avec la réalité, renforçant ainsi la dépendance au récit autorisé et à la contemplation passive, au détriment de toute action autonome ou d’une réalité sociale pleinement vécue.